uzin@mo = art + food + kulture + muzik + fiction + états d’âmes + karnet + exploration des sens + erotika + littérature de l'étonnement + inspiration + chronique

Monday, February 16, 2015

Station 2 Station : RIP Playlist (23)

Ligne Orange.
Station Beaubien.
Matin.
Humide.
Pluvieux.

À l’extérieur des murs souterrains du métro, un orage.
Du tonnerre, même...
Ici et là.
On dit souvent que la mauvaise température est directement associée aux agisemments des gens qui la subissent…
Oh well.

Dans le wagon, on tue le temps comme on peut.
Indépendamment de notre look ou encore de notre situation personnelle/professionnelle, tous les moyens sont bons pour anéantir cette bête maudite, quotidienne, récalcitrante.
Mots croisés, ebook, livre papier, revue, tricotage, fouillage dans le nez, etc.

À côté de moi, un nerd boutonneux joue à Angry Birds sur son téléphone (plus) intelligent (que lui). Derrière moi, une couple d'amoureux lit Fifty Shades of Grey, le feu dans les yeux... Quelques pas plus loin, un homme d’affaires consulte le manuel d’instruction de son nouveau joujou (iPhone).

Certains sentent bon, d’autres puent.
Certains sont beaux, d’autres laids.
La race humaine est un véritable zoo!

Soudainement parmi l’air recyclé qui nous est craché par les ventilateurs crasseux, une brise fraîche parvient à mes narines.
Mes poumons en font le plein automatiquement. Un parfum de rose exquis tranche l’air artificiel et avec sa trace, mille souvenirs renaissent dans mon esprit…

Tout d’abord, celui de mon professeur d’anglais du cégep Edna, qui portait ce même parfum inoubliable.

Puis, les jardins de roses de Martha’s Vineyard dans le Maine en plein été. Je marche comme un funambule, hypnotisé par cette potion magique, en direction de la source de tous ces plaisirs oflactifs.

Chemin faisant, je croise des légions d’odeurs malfaisantes : sueurs infernales, bagel déjeuner à saveur de vomi, haleines à réveiller les morts, sous-vêtements poisseux, etc.

Miracle, à quelques squelettes de moi, un banc libre. Autour de ce dernier, un vieillard à la canne tremblottante, une femme trop enceinte, un étudiant en béquilles ainsi qu’un mendiant affaibli par mille et une nuits d’abus et d’insuffisance alimentaire….

Je m’approche. Plus proche. Encore plus proche. J’attends de voir si quelqu’un va prendre ladite place. Je l’offre à tout le monde. Mais personne ne la prend. Je m’élance. Je m’asseois. Tout le monde continue ses activités comme si de rien n’était.
Quel bonheur de m’être enfin rapproché de ce jardin de roses…

Je cherche la source des yeux et je réalise tout à coup que c’est la petite vieillarde assise à mes côtés qui dégage ces exquises effluves. Odeurs bienfaisantes. Kalpin à la main, elle écrit. Ses pommettes rouges et ses cheveux blancs bouclés lui donne un air à croquer. Probablement une grand-maman des plus cools…

« Votre parfum est tout à fait exquis », dis-je à la sextogénaire…

« Merci, votre politesse me séduit l’âme », répondit-elle sur un ton monocorde des plus zen…

Je me questionne à savoir ce qu’elle est en train d’écrire dans son petit kapelin jaune. Liste d’épicerie, recette de tarte?

« Ni un ni l’autre, mon cher », s’exclame ma voisine sans même qu’un seul mot sorte de ma bouche…

« Mais quoi alors », dis-je, estomaqué par l’étrangeté du moment.

« Suis en train de fabriquer la playlist de mes funérailles », m’explique-t-elle.

Mais elle a l’air si en santé…

« La vie ne nous appartient pas. Elle nous est prêtée, un peu comme une location de voiture. Tôt ou tard, il faut redonner les clefs au propriétaire. Les ténèbres peuvent évincer la lumière à n’importe quel moment, vous savez », lance la femme au parfum salutaire, en me regardant droit dans les yeux.

Je vous souhaite de conduire votre véhicule encore longtemps...

Cette phrase mourut dans sa tête avant même de pouvoir franchir le seuil de ses lèvres; la tête de la dame alla se fracasser contre la fenêtre, son cerveau éclatant instantanément sous le choc de l’impact. Le Seigneur l’accueillit à bras ouverts dans son jardin fleuri.

La collision des deux trains dans le sousterrain projetta le corps de la femme enceinte contre un des parois du véhicule, son énorme bedon alla s’écraser contre le métal, broyant du coup le fœtus en une bouillie incadescente.

Le corps du veillard fut transpercé par sa propre canne, aspergeant les autres voyageurs de ses fluides internes.

L’étudiant aux jambes plâtrées tomba à la renverse, son corps pulvérisé par le poids des centaines de corps décapités tombés sur lui…

Le mendiant attrapa un sandwich au vol avant d’aller s’écraser contre un banc : mourir le ventre plein avait toujours été l’un de ses plus grands fantasmes…

Pour ma part, j’eu juste assez de temps pour jetter un coup d’œil au karnet de ma défunte voisine avant qu’il soit projetté dans les airs pour m’inspirer à savoir ce qu’aurait pu être ma propre RIP playlist avant de fermer les yeux à jamais.


J’espère au moins que le Paradis sentira les roses…

Karnet 199 / BOT 2015.1

-30-

Muzik pairing :

Not As We – Alanis Morissette
Happy – Pharrell Williams
My Way – Frank Sinatra
One – U2
Mes amours mortes – Jean Leclerc
Et Pourtant – Charles Aznavour
We Are All Made Of Stars – Moby
Paradize / J’ai demandé à la lune – Indochine
Mourir – French B

Ray of Light - Madonna

Labels: ,

0 Comments:

Post a Comment

Subscribe to Post Comments [Atom]



<< Home